Au contraire de la France, où le charbon est considéré comme une énergie du passé, dans la plupart des pays du monde, le charbon reste une énergie d’avenir. Dans son numéro de février 2023, la revue Questions Internationales nous rappelle les réalités. La production mondiale de charbon a doublé depuis 2000 et se situe actuellement aux environs de 8 milliards de tonnes par an. Au rythme actuel de production, les réserves mondiales de charbon se chiffrent en centaines d’années et elles sont réparties partout dans le monde. Pour les deux tiers, ce charbon sert à produire de l’électricité.
Le charbon a presque disparu en Europe occidentale, mais il est très présent en Europe de l’Est, notamment en Pologne, en Allemagne ou en République Tchèque. Dans le secteur Asie-Pacifique, la production de charbon a été multipliée par 4 en 30 ans. Les plus gros producteurs et consommateurs de charbon sont la Chine et l’Inde, mais des pays comme le Vietnam ou la Mongolie ont beaucoup développé leur production, le record étant détenu par l’Indonésie qui ne produisait pas de charbon avant 2000 et qui est devenu en 2021 le premier exportateur mondial avec une production de 600 millions de tonnes. L’Australie est passée de 200 millions de tonnes de charbon dans les années 90 à 500 millions de tonnes actuellement, ce qui fait du charbon un pilier de son économie.
En 1989, 37,5 % de la production d’électricité dans le monde venaient des centrales à charbon. En 2021, cette part a légèrement diminué à 36 %, mais comme la production totale d’électricité a été multipliée par 2,5, la production d’électricité à partir du charbon a plus que doublé en 30 ans. Il se construit actuellement beaucoup de centrales thermiques à charbon.
Les deux pays qui produisent et qui consomment le plus de charbon, la Chine et l’Inde, sont aussi devenus des champions dans le développement des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire. La Chine et l’Inde ont mené à bien des grands projets de barrages hydrauliques ou de parcs photovoltaïques. La Chine dispose actuellement de 54 réacteurs nucléaires et en a 20 en construction. L’Inde a 22 réacteurs nucléaires en fonctionnement et 7 en construction.
En Afrique, sur une population de 1,4 milliards d’Africains, près de 600 millions n’ont pas accès à l’électricité. Comme on prévoit 2,5 milliards d’Africains en 2050, il faudrait multiplier la production d’électricité en Afrique par 3, d’ici 2050, pour répondre aux besoins. Or, l’Afrique produit plus des trois quart de son électricité à partir d’énergies fossiles et le développement des énergies renouvelables est actuellement beaucoup trop lent pour répondre à ses immenses besoins. D’après l’Agence Internationale pour les Energies Renouvelables (IRENA) la production d’énergie renouvelable a augmenté de 180 000 MW en 2019 dans le monde, dont seulement 2000 MW en Afrique. Si on ne corrige pas la trajectoire actuelle, l’électrification de l’Afrique se fera avec du gaz ou du pétrole et pour une bonne part avec du charbon.
Le cas de l’Afrique du Sud est exemplaire. Ce pays est l’un des plus importants d’Afrique sur le plan économique et dispose des deux seules centrales nucléaires d’Afrique. Mais sa production d’électricité provient à 80% du charbon. Bien que ses mines de charbon soient le premier employeur du pays, l’Afrique du Sud a décidé un plan de transition pour diminuer sa dépendance au charbon. A la COP 27 de 2022, l’Afrique du Sud a obtenu une enveloppe de 98 milliards de $ des pays développés pour l’aider à réussir cette transition dans les années à venir.
Il est de l’intérêt du monde entier d’aider l’Afrique à développer sa production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et beaucoup d’initiatives ont été prises pour trouver des financements. En 2011, la Banque Africaine de développement a créé le Fonds pour l’Energie Durable en Afrique (SEFA), alimenté surtout par les pays scandinaves et les USA. En 2015. Jean-Louis Borloo a créé la fondation Energies pour l’Afrique avec le soutien de l’Arabie Saoudite. En 2017, à la suite de la COP 21, l’Initiative de l’Afrique pour les Energies Renouvelables (AREI) a été créée sous l’égide de l’Union Africaine. Les Etats Unis ont mis en place Power Africa. L’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) finance le Couloir Africain de l’énergie propre. L’Union Européenne a créé le Partenariat Afrique-UE pour l’énergie. Beaucoup de banques, à commencer par la Banque Mondiale et la Banque Européenne d’Investissement, soutiennent le financement des énergies renouvelables. Le Fonds vert pour le climat mis en place par l’ONU dans la cadre de la COP a pour objectif d’apporter 100 milliards de $ par an aux pays du Sud pour financer l’adaptation au changement climatique
En fait, ce n’est pas tant l’argent qui manque que les projets concrets. La baisse des coûts de production de l’électricité à partir de l’éolien ou du solaire permet de développer beaucoup de petits projets décentralisés de production d’électricité, mais ils sont handicapés par leur caractère intermittent et par les problèmes d’impayés et ne permettent pas de répondre aux énormes besoins des villes.
L’Afrique a énormément de ressources naturelles pour développer des grands projets d’énergies renouvelables. Dans la zone équatoriale, plusieurs fleuves à gros débit peuvent être aménagés pour produire de l’électricité. Dans les déserts du Sahara ou du Kalahari, des centrales photovoltaïques pourraient être installées sur des milliers d’hectares.. La géothermie dans la zone du rift africain et le vent en mer ou dans les zones littorales peuvent fournir de grandes quantités d’énergie.
L’Afrique n’a pas assez d’ingénieurs pour élaborer ces grands projets qui lui permettraient de se passer du charbon et du pétrole. Les capacités d’ingénierie pour ces projets existent en Europe et en Chine. Le plus grand service que l’Europe et la Chine pourrait rendre ensemble à l’Afrique serait de proposer à l’Union Africaine de créer et de financer ensemble des missions d’ingénieurs africains, européens et chinois pour étudier les mégaprojets d’énergies renouvelables les plus intéressants d’Afrique. Au bout de deux ans, ces équipes pourraient certainement proposer aux financeurs une dizaine de projets qui auraient un impact régional sur l’approvisionnement en énergie, tout en donnant à l’Afrique une image plus moderne. Parallèlement, la Chine et l’Europe pourraient accueillir des centaines, voire des milliers d’ingénieurs africains pour les former aux techniques de l’énergie nucléaire.
A titre d’exemple, le complexe de barrages du Grand Inga sur le Congo (qui a un débit moyen de 41 000 m3/s) pourrait fournir une puissance de 42 000 MW, soit la puissance de 25 EPR ou près de deux fois la puissance de la plus grande centrale électrique du monde, celle du barrage des trois gorges en Chine,. Avec ce projet, la République démocratique du Congo pourrait non seulement répondre à ses besoins et à une partie des besoins de pays voisins, mais devenir un grand producteur et exportateur d’hydrogène vert.
Cette coopération avec la Chine en Afrique permettrait aussi à l’Europe de montrer qu’elle ne souhaite pas s’impliquer unilatéralement dans la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Elle rassurerait les africains, en évitant les accusations de néocolonialisme. Elle permettrait aux grandes entreprises européennes et chinoises d’être bien placées pour réaliser ensuite les travaux sur le terrain.
L’accès à l’électricité est un facteur essentiel de développement. Le financement conjoint de missions d’ingénierie européenne et chinoise serait un moyen très efficace de contribuer au développement de l’Afrique tout en servant les intérêts du monde entier en diminuant l’utilisation des énergies fossiles en Afrique. Tout le monde y gagnerait.