L’extraordinaire potentiel de l’agriculture africaine, à l’aune du numérique

S’il est un domaine où le numérique permettrait de retourner la table en matière de développement en Afrique, c’est bien celui de l’agriculture

Tous les chiffres connus permettent de deviner un potentiel sans comparaison

En Afrique, la productivité agricole y est environ quatre fois plus faible qu’en Europe (a), principalement en raison de manque de formation mais également de technologies appropriées. Et on y trouve 60% des terres arables non cultivées. Certaines d’entres-elles, comme celles qui se trouvent dans l’embouchure du fleuve Sénégal, sont considérées comme les plus prometteuses du monde, en raison de la qualité de leurs sols.

On peut donc penser qu’il serait souhaitable de transférer nos techniques de sorte à permettre à l’Afrique d’être autonome en matière agricole et alimentaire. Toutefois, alors qu’une croissance désormais vigoureuse (attendue à 4,7% par la banque mondiale) devrait permettre aux 54 pays du continent de choisir leur(s) système(s) agricole(s), on peut s’interroger sur la pertinence de notre modèle.

Observons notre monde occidental : si notre agriculture nous a permis d’être auto-suffisants et même exportateurs nets de matière agricoles, il n’en a pas moins été à l’origine d’une catastrophe écologique et sociale.

agriculture-beninD’une part, notre modèle agricole se révèle être à bout de souffle, incapable de permettre aux paysans de bénéficier de revenus convenables et les enferrant dans un endettement toujours plus abyssal. D’autre part, on estime qu’a minima 20% des oiseaux européens ont disparu en raison des pratiques agricoles et on suspecte un lien des produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture avec de très nombreuses pathologies, dont certaines très lourdes.

Trop souvent, la filière agroalimentaire se développe au sein de logique de subventions et d’exportation

Ce bilan socio-écologique ne s’arrête pas là : trop souvent, la filière agroalimentaire se développe au sein de logique de subventions et d’exportation qui la poussent à promouvoir une production de faible qualité, parfois dangereuse pour le consommateur. Ainsi aux Etats-Unis, un lien clair a pu être établi entre obésité (39% de la population) et modèle agricole à base de subvention.

L’on conçoit donc bien que pousser aveuglément l’Afrique à adopter un modèle occidental pour son agriculture serait, à moyen terme, suicidaire. Ceci d’autant plus que pour l’instant, l’Afrique, dispose d’une production agricole 100% biologique. De même, les OGM n’y ont une part de marché marginale. Il ne s’agit pas de faire le procès de ces semences, mais d’observer que le contexte africain permet de faire croître des produits de meilleure qualité, au regard du standard occidental, en bénéficiant de l’expérience, parfois malheureuse, de l’occident.

L’opportunité en réalité consiste à penser un modèle nouveau pour le continent africain mais également sa globalisation

L’opportunité en réalité consiste à penser un modèle nouveau pour le continent africain mais également sa globalisation, en large partie en développant des modes d’organisation, des savoirs-faire et des techniques  numériques. Car le paradigme numérique a ceci de remarquable qu’il permet de diffuser des savoirs, via les Moocs et autres dispositifs pédagogiques mobiles, et de répandre les technologies les plus sophistiquées en s’affranchissant totalement des contraintes géographiques. Drones de prise de données agricoles, pièces de tracteurs, outils d’analyse du sol, pompes, etc. : ces équipements pourront prochainement être produits au sein de fablabs d’un niveau technologique standard, dans la plupart des cas en respectant des logiques open-source.

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Pour autant, il ne s’agit pas d’élever d’énièmes « éléphants blancs » en promouvant des solutions totalement hors sols qui, parce qu’elles n’ont pas été conçues avec les populations locales, se révèlent à moyen terme inappropriées. Ainsi certaines techniques agricoles traditionnelles sont louables et à préserver. Elles peuvent être hybridées avec des processus qui permettent d’accroître la productivité. Par exemple, lorsqu’un parasite est détecté sur une parcelle, l’absence de moyen de traitement abouti trop souvent à sa dissémination. Une technique simple consiste à « stériliser » cette parcelle à l’eau de javel (inoffensive pour l’environnement) dès que possible, préservant ainsi le reste de la culture. Ce type de pratique a déjà été expérimenté dans certaines régions d’Afrique et s’est désormais répandue à grande échelle. D’autres techniques agricoles du même type ont rencontré une grande popularité, souvent grâce à des moyens de diffusion numériques. Dans plusieurs pays (Botswana, Ouganda…) la production agricole a cru de plus de 40% en quelques années, largement grâce à la diffusion de techniques agricoles par le biais d’applications mobiles.

L’autonomie agro-alimentaire du continent commence par le fait de concevoir une agriculture différente de la nôtre

L’autonomie agro-alimentaire du continent commence par le fait de concevoir une agriculture différente de la nôtre : une agriculture inclusive, qui ne détruise pas les écosystèmes locaux par le remembrement et la chimie, qui transforme les produits localement afin de permettre aux populations de bénéficier de création d’emplois et de produits agricoles à consommer sur place. C’est peut-être une agriculture de type agro-forestière, qui capte les émissions de carbone et qui permette de garantir la sécurité alimentaire, même en période de canicule de longue durée.

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Tout cela est possible, et à grande échelle. Il est même envisageable de reverdir l’ensemble de la zone sahélienne et d’y créer un contexte de développement enviable pour les 139 millions d’habitants qui s’y trouvent. Voilà l’une des opportunités nouvelles que l’accélération de la croissance africaine, conjuguée à l’émergence d’un nouveau paradigme numérique, dessine désormais à un horizon que l’on espère très proche.

Gilles Babinet
Multi entrepreneur et Digital Champion auprès de la Commission Européenne. Entrepreneur à l’âge de 22 ans, fondateur de nombreuses sociétés dans des domaines aussi divers que le conseil (Absolut), le bâtiment (Escalade Industrie), la musique mobile (Musiwave, revendue pour 139 millions d’euros), la co-creation (Eyeka), les outils décisionnels (CaptainDash)... Egalement membre du board de EY, de la Fondation EDF, du CNED, de Learn Assembly et co-fondateur de AFrica4tech.