Les pays en développement comme le Cameroun jouent un rôle encore marginal dans les échanges internationaux des biens culturels, alors qu’ils connaissent une extraordinaire vitalité culturelle. Dans cette contribution, nous nous sommes attachés à présenter des actions pour favoriser l’émergence d’un secteur culturel marchand organisé, compétitif et créateur de revenus et d’emplois durables.
Les entreprises culturelles désignent cet « ensemble hétérogène dont la diversité s’explique tant par l’appartenance à des secteurs artistiques distincts que par l’histoire des structures considérées, et plus particulièrement l’origine de leur création »[1]. En tant que filière de l’industrie culturelle, elle est une unité de production et de commercialisation de biens portant la marque symbolique et esthétique d’une culture. Moteur des échanges des biens et des services culturels, ainsi que des capitaux, les entreprises culturelles contribuent au développement de l’économie nationale. En prenant part active à la croissance économique nationale, elles apportent une valeur ajoutée dans la valorisation des richesses, dans la création d’emploi et le développement humain. Le rôle très capital qu’elles jouent dans l’appropriation et la valorisation des richesses, détermine l’intérêt économique dans la créativité artistique et culturel. Avec la mondialisation galopante [2]et les développements sociaux, culturels et technologiques qu’elle entraine, on assiste au Cameroun, à une intensification de la consommation de produits culturels. De nombreuses transformations[3] sont désormais à l’œuvre.
Alors que la culture est au cœur de la dynamique de développement dans bien d’autres pays, cette filière demeure négligée, non structurée et (presque) à la périphérie des politiques publiques au Cameroun. La dimension économique de la culture n’a pas été mesurée à sa juste valeur au Cameroun. On y pense que la culture ne consiste qu’à « éclairer » le public ou à le divertir. Son apport économique n’était pas considéré comme un élément important. D’où le déficit de données concernant l’activité et les performances des industries culturelles au Cameroun. Or il est important que le secteur se dote de statistiques claires visant à prouver au politique, sa contribution au développement national. Malgré la reconnaissance de son utilité, les données quantifiables sur l’impact des industries culturelles africaines sont rares voire inexistantes. Et ce, même dans certaines filières comme l’artisanat, un « secteur dont les retombées sont palpables et impacte directement les populations » nous rappelle Nadia Nkwaya, chargée de recherche à Arterial Network.
D’après Vounda Etoa, Directeur des Editions Clé, « La plupart des entreprises culturelles qui existent au Cameroun fonctionnent sur une base familiale alors que l’on devrait passer à une gestion standardisée. Il faut une administration rigoureuse avec une gestion toute aussi pointue. » En effet, le marché des biens et services culturels sur le territoire camerounais est loin d’être structuré. Des initiatives individuelles émergent çà et là mais l’industrialisation de la filière des arts et de la culture n’est pas encore effective.
Les activités et projets culturels développés sont sporadiques et n’ont pas toujours d’émanation sociale pour asseoir leur renommée. Or pour dynamiser cette filière, il faut que des activités soient organisées en continue tout au long de l’année. Ce n’est qu’après huit année (2008) que fut organisé, en avril 2016, la 2ème assise sur les entreprises culturelles et industries créatives au Cameroun afin de préparer l’élaboration et la mise en place d’une politique incitative pour mieux structurer le secteur. Pour y parvenir, nous proposons deux pistes : l’une éducationnelle et l’autre structurelle.
Le premier est lié à l’éducation artistique et culturelle,
c’est-à-dire à enseigner la culture camerounaise et africaines aux enfants et jeunes dès le bas âge, afin qu’ils puissent acquérir ou développer des connaissances artistiques ou culturelles. En effet, le marché des arts et de la culture ne sera jamais durable si la population, principale clientèle, des biens et services culturels, n’est pas sensible et à même de disposer des codes esthétiques minimum pour reconnaitre et apprécier la valeur des productions artistiques et culturelles. Cependant, éduquer ne suffit point, il faut également règlementer et encadrer la filière afin de veiller à ce que la logique commerciale ne prenne pas le dessus sur la logique culturelle au risque de la banaliser, d’appauvrir le contenu des produits culturels et même d’influencer le goût des consommateurs à des fins de contrôles économiques ou idéologiques.
Ce qui évidemment ôte à l’usager tout sens de critique constructive et fait de lui un consommateur « avide de nouveautés ». et donnant parfois la préférence à la médiocrité agréable plutôt qu’au plan réellement créateur. C’est ce qu’on observe lorsqu’on voit la majorité de la population s’extasier devant des productions culturelles de faible qualité[4]. Sans éducation artistico-culturelle, il sera très difficile pour un jeune de décrypter et de savourer à sa juste valeur des artistes « talentueux » comme Charlotte Dipanda, Richard Bona, Manu Dibango ou Blick Bassy… Quand notre champ de connaissance musical, théâtral, cinématographique… est pauvre, il est très difficile de savoir et de pouvoir reconnaitre des biens culturels de qualité.
Ce rôle d’éducation artistique et culturelle incombe premièrement au ministère de la culture et des Arts qui se doit d’élaborer et de veiller à l’implémentation effectives de politiques culturelles décentralisées au niveau de chaque communauté, en passant évidemment par le système éducatif. Par exemple, des activités culturelles doivent être organisées au sein des établissements scolaires, des partenariats de coopération entre les entrepreneurs culturels et les institutions éducatives doivent être réalisés, les institutions muséales doivent davantage marketer la culture auprès de cette cible qu’est l’enfance à travers des visites guidées gratuites (et obligatoire) pour tous les établissements du primaire au secondaire afin d’inculquer en eux les valeurs de la diversité culturelle.
Le second enjeu est symbolique.
C’est le rôle de l’Etat de promouvoir tous les secteurs culturels (musique, cinéma, théâtre, gastronomie, spectacle vivant, mode etc.) car au-delà de la richesse économique, ils sont porteurs de richesses symboliques qui façonne l’imaginaire des peuples et la pensée individuelle. Alice Ellenbogen [5] nous rappelait déjà que la puissance d’une Nation est davantage culturelle que politique. Autrement dit, la puissance culturelle précède la puissance politique et économique. C’est aussi la position de SENGHOR (Senghor, 1964) quand il affirmait que : « l’impérialisme culturel, nous l’oublions trop souvent est la forme la plus dangereuse du colonialisme : il obscurcit la conscience.[6] » Il n’y a pas de puissance émergente qui n’ai pas utilisé la culture pour imposer son savoir-faire et son génie dans le monde.
Toujours dans ce cadre, les institutions comme le ministère des Arts et de la Culture, le ministère du Tourisme, le ministère de l’Enseignement Supérieur, le ministère des Relations Extérieurs, le ministère de la Communication etc. ont un volet de soutien à la culture et doivent désormais identifier les initiatives des jeunes afin de les soutenir. Ils doivent organiser des manifestations culturelles régulièrement. On pourrait instaurer le mois national du tourisme pour permettre aux Camerounais du Centre d’aller vers le Nord ou du Sud vers l’Ouest et vice versa. Au-delà de la mobilité nationale, on doit également promouvoir le tourisme sous régional avec le Congo, la Centrafrique, le Gabon, le Nigeria… Le Cameroun représente l’Afrique en miniature et regorge donc d’une diversité impressionnante comme peu d’autres pays et nous devons nous appuyer sur ce levier.
Enfin, la question du développement des entreprises des industries culturelles et créatives s’est intégrée dans les discours de réflexion des acteurs culturels, dans plusieurs pays africains, en vue d’une appropriation des normes les caractérisant. Un discours qui mérite une clarification dans un environnement fusionnant le formel et l’informel dans la création de richesses. Les entreprises des industries culturelles se présentent à cet effet, comme les outils de création de richesses économique au Cameroun. Car elles permettent d’accroître la capacité de créer et de faire circuler le capital intellectuel économique et symbolique, tout en favorisant l’inclusion sociale, la diversité culturelle et le développement humain.
[1] Jean-Philippe DURAND, Le marketing des activités et des entreprises culturelles, Lyon, Agec-Juris Services, 1991
[2] Saliou Ndour, « Le développement des industries culturelles: une exigence de l’Afrique dans le contexte de la mondialisation », 2008.
[3] Philippe Bouquillion, « Incidences des mutations des industries de la culture et de la communication sur les contenus informationnels », Cahiers du Journalisme, vol. 20, 2009, p. 44–63, p. 44.
[4] Nous préférons éviter de citer des titres ou des exemples car la qualité d’une œuvre est aussi subjective.
[5] Alice Ellenbogen, Francophonie et indépendance culturelle : des contradictions à résoudre, Editions L’Harmattan, 2006.
[6] Léopold Sédar Senghor, « De la liberté de l’âme ou éloge du métissage », ders.: Liberté I. Négritude et humanisme, Paris, 1964, p. 98–103.