Un mouvement pour la transformation de l’Afrique et un réseau comprend plus de 500 femmes africaines de toutes les générations et de tous les secteurs
L’année 2020 a commencé en force pour le Réseau des femmes leaders africaines (African Women Leaders Network – AWLN). Alors que le monde se préparait à marquer les 25 ans écoulés depuis la quatrième Conférence mondiale sur les femmes de 1995, l’AWLN a voulu commémorer l’anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing en lançant 25 chapitres nationaux à travers l’Afrique entière. La pandémie de Covid-19 et ses incidences sexospécifiques disproportionnées ont contraint l’AWLN à devenir rapidement le fer de lance de la combativité des femmes africaines pour faire en sorte que « les gains acquis ne soient pas anéantis », comme l’a souligné Amina Mohammed, la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies et défenseuse de l’AWLN, au cours d’une consultation virtuelle en mai 2020 sur les interventions à assurer contre la COVID-19.
L’AWLN a été lancé au siège des Nations Unies à New York en juin 2017, sous l’égide de la Commission de l’Union africaine (CUA) et de l’Organisation des Nations Unies (ONU) par le Bureau de l’Envoyée spéciale de l’Union africaine pour les femmes, la paix et la sécurité et ONU Femmes. Trois ans après sa création, le réseau comprend plus de 500 femmes africaines de toutes les générations et de tous les secteurs. Il a pour ambition de créer dans l’ensemble du continent une force de femmes dirigeantes qui contribuent à la transformation de l’Afrique, dans le droit fil de l’Agenda 2063 pour l’Afrique et du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Ces efforts s’articulent autour de six piliers : la gouvernance et la participation politique, la paix et la sécurité, les finances et l’entrepreneuriat féminin, le leadership des jeunes, l’agriculture et la mobilisation sociale. Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’UA, a reconnu ces priorités transversales et le rôle que jouent les femmes africaines en tant qu’agricultrices, entrepreneuses, commerçantes, scientifiques et dirigeantes dans de nombreux autres secteurs qui forment la charpente de nos économies.
La pandémie a exposé et amplifié les disparités entre les sexes, dans des manières qui nous offrent des possibilités importantes de mener une réponse constructive. Même avant la pandémie, les contributions des femmes africaines au développement socio-économique de leur pays étaient méconnues et sous-estimées, alors qu’elles représentent 72 pour cent de la main-d’œuvre agricole, 70 pour cent du secteur informel et plus de 70 pour cent des agents de soins de santé de première ligne. La présence des femmes travaillant dans ces secteurs est cruciale pour la reprise économique, et il est indispensable que les mesures de relèvement les ciblent délibérément.
Un autre domaine prioritaire porte sur la santé reproductive des femmes et des adolescentes : les interventions d’urgence en raison de la crise sanitaire ont placé la prestation des services y relatifs au second plan. Or ces services demeurent essentiels, et ce d’autant plus à la lumière de la hausse spectaculaire des signalements de violence domestique et de celle basée sur le genre, ainsi que de l’essor considérable des mariages précoces et des grossesses précoces chez les filles en raison de la fermeture des écoles. Pour autant, il est possible d’inverser ces tendances, comme en atteste le succès de groupes de femmes en Éthiopie à empêcher 500 mariages précoces depuis le début de la pandémie.
S’ajoute à cela le besoin impératif de remédier aux problèmes d’accès à des équipements de protection adéquats, qui sont vitaux pour les agents de santé et de soins de première ligne, ainsi qu’aux difficultés d’accès à des informations pertinentes sur les questions de santé publique. En Afrique, 70 pour cent de la population n’ont toujours pas accès à Internet, et c’est chez les femmes et les filles que la fracture numérique se ressent le plus durement.
La pandémie a exposé et amplifié les disparités entre les sexes, dans des manières qui nous offrent des possibilités importantes de mener une réponse constructive
La discrimination basée sur le genre conjuguée au détournement des fonds destinés à l’origine à des programmes d’autonomisation des femmes ont pour effet aussi de nuire aux contributions des femmes à la paix et à la sécurité. Pourtant, la solidarité et la résilience des femmes constituent un capital social unique qui devrait être utilisé comme ressource et mobilisé activement dans les processus de consolidation de la paix.
La tenue d’élections – ce tremplin qui permet de propulser les femmes à des rôles de leadership politique – est maintenant menacée, à un moment où les mesures d’urgence imposées par les gouvernements limitent les déplacements et la liberté d’expression pour réagir contre une nouvelle forme d’« infodémie ». Dans les pays où des élections sont prévues, les gouvernements doivent veiller à la participation libre et équitable des femmes au vu des nouvelles circonstances, y compris en tant que membres de mécanismes de surveillance des élections.
La consultation mondiale du Réseau des femmes leaders africaines (AWLN) qui s’est tenue en mai 2020 s’est penchée sur ces enjeux essentiels ainsi que sur d’autres pour en déterminer la priorité et les traduire en actions immédiates. Aucune femme ou fille ne devrait subir des violences en silence. Chaque fille doit impérativement avoir accès à l’éducation et à d’autres outils essentiels pour le marché moderne. L’économie des soins, portée par les femmes et les filles, doit être reconnue à sa juste valeur. Les femmes leaders, y compris les jeunes dirigeantes, doivent impérativement être présentes à la table de prise de décisions pour participer à la planification et à la mise en œuvre des priorités-phares dans une perspective de genre, par exemple en planifiant des mécanismes de lutte contre la COVID-19. À cet égard, tout doit être fait pour éviter de détourner les fonds de projets et d’activités convenus au préalable.
En 2001, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine se sont engagés à fixer un objectif visant à affecter au moins 15 pour cent de leurs budgets annuels à l’amélioration du secteur de la santé. En 2019, les données disponibles montrent que seuls trois pays ont atteint cet objectif. Les États membres de l’UA doivent réaffirmer leur attachement à défendre les droits des femmes dans le respect des instruments internationaux et régionaux qu’ils ont convenus, à savoir le Protocole de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes, ainsi que les directives de l’ONU et de l’UA pour le déclenchement des stratégies sensibles au genre afin de lutter contre la pandémie de Covid-19 et mieux reconstruire après la crise. L’Union africaine et ONU Femmes se tiennent prêtes à soutenir les États membres dans leurs efforts pour parvenir à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes avec l’AWLN.
Par l’intermédiaire de ses chapitres nationaux, l’AWLN mobilise les femmes autour d’un mouvement continental propice à l’élévation du statut de leadership des femmes en Afrique. Pour reprendre les paroles d’Ellen Johnson Sirleaf, présidente d’honneur de l’AWLN et ancienne présidente du Liberia, « le moment est venu de reconnaître que la transformation développementale et la paix véritable doivent forcément s’accompagner d’un changement fondamental quant à l’identité des dirigeants et aux manières de diriger. » Les femmes leaders africaines à tous les niveaux peuvent agir pour faire de ce vœu une réalité et devenir une force avec laquelle il faut compter.
Article de Bineta Diop, Envoyée spéciale de l’Union africaine pour les femmes, la paix et la sécurité et Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive ONU Femmes.