Le président du Rwanda Paul Kagamé:
Permettez-moi de partager quelques réflexions sur l’innovation en Afrique, en particulier la notre au Rwanda. La première question que nous devons nous poser est la suivante: avons-nous les bonnes politiques pour stimuler l’innovation ?
Quand on parle d’innovation, il est question de connaissance, de mentalité, d’utilisation de la technologie, et de faire les choses différemment dans le but de trouver des solutions aux problèmes de la vie quotidienne.
Nos pays sont confrontés à des défis complexes et de longue date. Un grand nombre de solutions qui ont été essayées n’ont pas fonctionné. Nous avons tout à gagner en nous ouvrant à de nouvelles idées. Nous pouvons apprendre les uns des autres en Afrique et ailleurs à l’instar de ceux qui ont réussi en Asie, mais nous devons aussi continuer à regarder à l’intérieur de nos propres communautés pour des innovations « fait-maison », afin de résoudre nos problèmes de développement, comme beaucoup de pays d’Afrique le font déjà.
Le Rwanda n’est pas différent.
Au cours des deux dernières décennies, nous avons cherché de nouvelles façons de reconstruire et de restaurer le tissu social, le « ciment » de la confiance entre les personnes. Nous avons puisé, aussi loin que possible dans la culture rwandaise et dans la tradition, pour que nos innovations répondent aux problèmes de nombreux secteurs importants, notamment ceux de la justice, l’éducation, la santé, l’agriculture, la gouvernance et la réduction de la pauvreté.
L’une des questions clés que le gouvernement post-génocide au Rwanda a eu à gérer, était de savoir comment rendre justice dans un pays avec un système judiciaire inexistant. Poursuivre les centaines de milliers de suspects devant les tribunaux classiques, qui n’existaient même pas à l’époque, aurait pris des centaines d’années ou aurait été tout simplement impossible. Au lieu de cela nous nous sommes tournés vers la « Gacaca », une pratique culturelle rwandaise utilisée pour résoudre les conflits et maintenir l’harmonie nationale. Nous avons décidé de moderniser ce système afin de rendre justice, et de favoriser la révélation de la vérité sur le génocide.
Entre 2002 et 2012, 52 000 tribunaux « Gacaca » à travers le pays ont traité deux millions de cas pour un coût de moins d’un milliard de dollars. Pour mettre cela en perspective, le Tribunal pénal international pour le Rwanda, créé en 1995 pour poursuivre les instigateurs du génocide, a jusqu’ici traité 60 cas dans les 19 dernières années avec coût de deux milliards de dollars. La « Gacaca » n’est peut-être pas une innovation dans le sens que nous entendons souvent, mais cette nouvelle approche, cette justice transformatrice, a permis à la nation du Rwanda de « guérir », et continuer à poursuivre sa transformation socio- économique.
Dans nos efforts pour implémenter la bonne gouvernance et améliorer la prestation de services, le gouvernement a présenté une autre solution « fait-maison » connue sous le nom « Imihigo » c’est à dire les contrats de performance.
Au Rwanda pré-colonial, les individus fixaient des objectifs et s’engageaient publiquement à les atteindre dans des délais précis. Nous avons décidé d’adapter « Imihigo » parce qu’après la décentralisation en 2000, nous avions besoin d’un moyen pour assurer, au gouvernement central et aux Rwandais, la reddition des comptes lors de la mise en œuvre des programmes de développement menés par les instances locales. Cela se fait par le biais des contrats de performance annuels évalués trimestriellement, qui contiennent des objectifs fixés ensemble par les communautés et les autorités. Ceux-ci sont alors signés par tous les maires de district. Cette innovation a contribué à l’accélération du développement à tous les niveaux, la reddition de comptes et la transparence du gouvernement.
Par ailleurs, afin d’inciter tous les citoyens à participer au développement national, nous avons fait appel à différentes institutions, y compris dans de nombreux cas, celles inattendues, comme notre armée et la police nationale. Après avoir permis la paix et la sécurité dans le pays, les forces de défense et de sécurité rwandaises (RDF) mènent des projets dans l’agriculture qui contribuent à la sécurité alimentaire.
Elles fournissent également des soins de santé au cours de ce qu’ils ont nommé les activités de la Semaine de l’armée, qui ont lieu lors de la célébration de la libération du Rwanda. L’année dernière, les RDF ont traité plus de 45 000 patients, dont 15 000 survivants du génocide. Le corps de génie est actif dans la construction des infrastructures et construit actuellement, entre autres, 42000 maisons pour les Rwandais vulnérables vivant dans des zones climatiques à haut risque.
Bien que nous ayons encore un long chemin à parcourir et beaucoup de travail à faire, les Rwandais ont vu ces innovations fonctionner, ce qui les a encouragé et habilité à innover encore plus. Nous nous sommes inspirés des exemples que nous voyons sur notre continent dans différents domaines. Je suis sûr que vous avez tous entendu parler de M-Pesa, l’innovation kenyane qui a révolutionné les services financiers, et est maintenant reproduite ailleurs sur le continent. Il existe également des solutions comme m-Pedigree, une application inventée par un jeune ghanéen permettant aux consommateurs d’identifier les médicaments contrefaits – un problème majeur qui affecte nos pays.
Au Rwanda, nous nous concentrons sur la fourniture de services essentiels à nos citoyens, nous sommes également déterminés à investir dans notre avenir.
C’est pourquoi nous accordons une telle importance aux sciences et à la technologie. Par exemple, dans le domaine des TIC, nous fournissons des ordinateurs portables aux enfants de l’école primaire et nous avons posé 3200 km de fibre optique couvrant chaque district, afin de connecter les écoles, les hôpitaux et les centres administratifs. Notre objectif est de veiller à offrir aux Rwandais, avec d’autres Africains, la formation, les compétences, la confiance et les opportunités d’innover et d’être compétitifs au niveau mondial.
Certes, ce ne sont pas des tâches faciles pour tous les pays, encore moins pour celui qui part d’une base très faible comme le nôtre. Mais elles sont essentielles pour le progrès de nos pays et de notre continent.
Paul Kagamé, Président du Rwanda.
Paru originellement sur www.africanexecutive.com, traduit par Libre Afrique