A l’image de l’Algérie, du Nigeria, du Cameroun et du Mali, plusieurs pays africains sont aujourd’hui plongés dans un non-dit sur l’état de santé de leurs dirigeants dont ils sont restés longtemps sans nouvelles
Le dernier en date fut l’absence pendant plusieurs semaines du Président Béninois Patrice Talon pour raison de santé avec une communication caractérisée par une dénégation et un amateurisme inacceptables. Pourquoi une telle tradition en Afrique et comment s’en affranchir?
La peur de perdre le pouvoir
Le silence entretenu autour de la santé des Chefs d’Etats en Afrique a avant tout des origines culturelles. Dans la culture africaine, s’est enracinée au fil des siècles une tendance à cacher la maladie parfois même au sein de la famille pour ne pas inquiéter les proches ou encore pour ne pas “subir” la pitié des autres.
Cette habitude a progressivement investit le champ politique et les arcanes du pouvoir, où la santé du Chef est géré dans une totale opacité. Cependant même si cette pratique est courante chez nous, elle n’est pas recevable comme arguments absolutoires dans la mesure où il s’agit de la personne du Président dont dépendent des millions de citoyens. En effet, un bon état de santé est une condition sine qua non pour la validité des candidatures et pour le maintien au poste de Président.
La plupart des chefs d’Etat africains ont déjà effectué plusieurs mandats et rêvent d’en faire davantage. Rares sont ceux qui préparent la relève et acceptent d’abdiquer. Un mauvais état de santé ou l’annonce d’une fin probable peut donc affaiblir l’autorité du Président et faire courir les proches vers d’autres bords politiques, plongeant ainsi le camp présidentiel dans une guerre intestine.
Très souvent, face aux inquiétudes de la population, il n’y a que l’omerta, ou des communiqués sur des opérations bénignes et des contrôles de routine. Les preuves d’un bon état de santé physique sont rarement apportées. Les courtisans et proches se lancent alors dans la dénégation et les menaces dans le but de cacher la vérité au peuple. Une vérité que le cours des événements finit par établir de façon irréfutable comme ce fut le cas au Togo et au Gabon. Ces manœuvres sont inacceptables et ont pour unique dessein de repousser des menaces qui pourraient planer sur le maintien des postes.
En Afrique francophone, le souvenir récent de coups d’Etat ou de guerres civiles liés à l’impréparation et l’absence d’anticipation d’une transition alors que le Chef d’Etat était invalide invite à approfondir l’analyse. Certains meurent brusquement durant l’exercice du pouvoir laissant un véritable chaos. C’est le cas de Lansana Conté dont le décès en 2008 a été suivi par un coup d’Etat alors même qu’une transition aurait pu être organisée avant sa mort. C’est aussi le cas de Félix-Houphouët Boigny dont la succession après son décès a plongé la Côte d’Ivoire dans une tourmente qui perdure à ce jour, et dont la face visible est un processus de réconciliation nationale en panne. Le décès ou les conditions de santé d’un Président sont trop stratégiques pour être cachées car conditionnant la stabilité du pays.
Au Nigéria, après le cas du Président Umaru Yaradua en 2008, le peuple se retrouve dans un contexte de recommencement avec la santé chancelante de l’actuel Président. Depuis 2015, l’actuel Président, Muhammadu Buhari a effectué quatre longs séjours médicaux à Londres.
Depuis mai 2017, il y est à nouveau hospitalisé sans que les Nigérians en sachent la raison. Ce cas rejoint celui du Président Abdelazziz Bouteflika annoncé «temporairement indisponible » en raison d’une bronchite. Ce dernier n’a plus jamais quitté son fauteuil roulant et est absent de toute activité publique depuis 2014. Ils sont très nombreux ces chefs d’Etats africains ayant sciemment caché la gravité de leurs afflictions à leur peuple. Le manque de transparence sur l’état de santé des Présidents, a aussi pour corolaires les manœuvres des hommes de l’ombre qui font passer au nom du Chef d’Etat souffrant, des décrets, des décisions graves pour l’avenir politique et économique du pays, sans qu’il y ait aucune reddition des comptes, ce qui est très inquiétant.
Que faire dans ces conditions ?
Même si des velléités de transparence sur la santé des Chefs d’Etats commencent à émerger sur le continent, on est encore loin d’une vraie transparence. Aux États-Unis, depuis les années 1970, tous les présidents américains décrivent leur santé avec forts détails à travers des bulletins de santé. La transparence sur l’état de santé du chef de l’Etat est également un atout de renforcement de la démocratie en ce qu’elle permet de prévenir et éviter un chaos politique. Pour ce faire, il faudrait constitutionnaliser l’obligation de rapport d’état de santé périodique des présidents. Il est également impérieux de mettre en place des dispositions constitutionnelles claires sur la gestion de la vacance du poste présidentiel. De même, la limitation des mandats permettra d’éviter l’usure de la santé des présidents pouvant entraîner leur décès.
Il est du droit du citoyen dont l’impôt sert à entretenir l’état de santé du Chef, de savoir à quoi servent ses ressources. C’est une question de bon sens. Une réalité que le gouvernement de Patrice Talon a récemment intégrée. En effet, après s’être longtemps muré dans le silence, et ses ministres embastillés dans des explications inaudibles, Patrice Talon a donné des nouvelles de sa santé, et les raisons de son absence pendant plus de trois semaines.
Il a annoncé avoir subi deux opérations chirurgicales à la prostate et à l’appareil digestif lors de son récent séjour à Paris. Une façon de dire la vérité sans excès et qui permet de rejoindre le peuple là où réside ses angoisses. La santé des personnes relève de l’intimité et reste par essence confidentielle. Pour autant, en concédant que le Président de la République est une personne comme tout le monde avant d’être un personnage public, la nécessité d’une transparence sur son état de santé s’impose dès lors que la stabilité du pays et la conduite des affaires publiques découlent de son bien-être physique et psychique.
Il s’agit donc de trouver le juste milieu entre l’omerta classique devenu une tradition chez les Chefs d’Etats africains et le devoir d’informer pour faire reculer la psychose et maintenir la confiance. Lorsqu’on cache quelque chose au peuple, il pense à juste titre qu’on lui cache tout.
Kassim HASSANI, journaliste béninois.