Le coût du crédit est trop élevé en Afrique
Quelle situation et quels chiffres ?
En 2014, les taux débiteurs appliqués par les institutions financières dépassaient 20 % dans plusieurs pays du continent, dont la Gambie (28,5 %), Madagascar (60 %) et le Malawi (44,29 %).
En décembre 2015, les taux d’intérêts pratiqués par les banques kényanes sont de l’ordre de 17,5 % sur leurs prêts alors que les taux de rémunération des dépôts sont souvent inférieurs à 7,9 %. Pour faire face au coût élevé du crédit, le président kenyan a promulgué une loi plafonnant les taux d’intérêt pratiqués par les banques.
Ainsi, le Kenya rejoint les 76 pays dans le monde, dont une trentaine en Afrique, qui pratiquent le plafonnement des taux d’intérêt. Les défenseurs de cette mesure soutiennent que cette loi va permettre de réduire le loyer de l’argent et permettre aux pauvres d’accéder aux crédits.
Ont-il raison ?
Plusieurs raisons nous permettent d’en douter. D’abord, pour le prêteur, l’imposition d’un taux plafond constitue une barrière à l’entrée. En effet, le plafonnement du taux d’intérêt, comme le contrôle de prix, se fait souvent à un niveau qui ne tient pas compte de la rentabilité escomptée par l’offreur (ici le prêteur), car les planificateurs n’ont pas l’information pertinente.
De surcroit, cette information est en perpétuel changement en fonction des mutations permanentes de l’environnement décisionnel. L’insuffisance de rentabilité entraîne un manque d’incitation à offrir des prêts sur le marché conduisant à une pénurie de crédits. Comme corollaire, les pauvres, à qui la mesure est censée profiter, verront leur accès aux services financiers limité, ce qui contribue à creuser davantage les inégalités.
Ensuite, les banques peuvent se détourner de l’activité de financement au profit d’autres activités. De même, face au durcissement des conditions de crédit par les banques, les emprunteurs pourraient recourir au financement informel et donc porter un coup à la bancarisation dans le pays (56% contre 90% pour les pays industrialisés). Bref, le plafonnement du taux d’intérêt à un niveau bas et en dessous des coûts de production du crédit peut être est assimilé à une forme de taxation perverse sur l’épargne. En refusant aux banques le légitime rendement de leur investissement, cette mesure aura donc l’effet contraire en créant la pénurie du crédit.
Enfin, on peut aussi assister à une mauvaise allocation des crédits puisque les taux d’intérêts déterminés administrativement ne refléteront plus la vraie valeur des ressources et ne transmettront plus les bons signaux sur la réalité du marché aux décideurs afin de faire les meilleurs choix. En effet, le taux d’intérêt est un prix comme les autres. Et le prix est le résultat de la confrontation de l’offre et de la demande. En conséquence, une mesure administrative pour fixer le prix sans tenir compte de ces deux variables fausserait l’information transmise aux décideurs, ce qui conduirait à de mauvais choix. Alors, dans ces conditions, quelles solutions alternatives pour démocratiser l’accès au crédit ?
La véritable cause à l’origine de la hausse des taux d’intérêts réside dans l’insuffisance de l’offre de crédit par rapport à la demande de crédit. Donc, si l’on veut faire baisser le loyer de l’argent il faudrait augmenter l’offre de crédit. Par conséquent, en lieu et place du plafonnement des taux d’intérêt, les dirigeants doivent plutôt réduire les coûts de transactions, réduire le risque, et intensifier la concurrence pour rendre le crédit moins cher. Il est impératif que les réformes menées soient en conformité avec les réalités de l’économie.
D’un côté, les réformes doivent avoir pour objet la réduction des coûts liés à la fiscalité, des créances insolvables, des frais administratifs. En mars 2016, les créances irrécouvrables des banques kenyanes s’élevaient à 117,2 milliards de Shilling Kenyan soit 1,16 milliards de dollars US. Par conséquent, toutes choses étant égales par ailleurs, les banques augmentent les taux d’intérêt afin de compenser la perte due aux créances douteuses. L’exemple du Kenya montre que les taux d’intérêt élevés sont dus à l’application par les banques de primes de risque plus élevées à mesure que la proportion de leurs prêts improductifs augmente. Cette prime de risque sur les prêts est estimée à 5,2% au Kenya, selon les données de la Banque Mondiale.
De l’autre côté, les réformes doivent permettre de réduire le risque en réformant le cadre juridique protégeant à la fois le prêteur et l’emprunteur. De même, et dans le but de réduire le risque pour les banques, il est très important d’améliorer l’information disponible sur la solvabilité des emprunteurs. Or, si le Kenya a créé un bureau de crédit central en 2014 pour recueillir des informations sur la solvabilité des emprunteurs, il n’en demeure pas moins que l’étendue de cette information reste très limitée.
D’ailleurs, dans le Doing Business 2016, la Côte d’ivoire enregistre un score de zéro sur 8. La couverture des emprunteurs reste limitée et l’accès à l’information compliqué car le nombre de personnes et d’entreprises inscrites sur le registre du bureau du crédit n’est pas significatif. En conséquence, des efforts doivent encore être déployés dans le sens de l’amélioration de l’information et de la fiabilité des droits des prêteurs et des emprunteurs. Car même avec un taux d’intérêt bas, s’il n’y a pas de protection juridique suffisante pour le prêteur, il n’y aura pas de crédit.
Enfin, le Kenya doit créer les conditions d’une véritable concurrence directe. Selon le rapport (2016) sur la liberté économique de l’Institut Fraser, le Kenya est classé au 109ième rang (sur 185) au niveau de la réglementation du marché du crédit. C’est pourquoi les dirigeants kenyans doivent encourager la concurrence car elle obligera les banques à devenir plus transparentes, à réduire leurs marges et leurs commissions pour être en mesure de garder ou développer leurs parts de marché. Autrement dit, la concurrence permettra de rééquilibre le rapport des forces entre le prêteur et l’emprunteur, ce qui incitera les institutions financières à fixer des taux d’intérêt reflétant mieux les coûts et les risques assumés. Ainsi, l’on sera en mesure d’espérer une démocratisation de l’accès au crédit au Kenya.
Avec KRAMO Germain, Chercheur Associé au CIRES