Le défi démographique figure en tête des défis que l’Afrique devra relever dans les prochaines années. En seulement 50 ans, la population du continent africain a quadruplé pour atteindre 1 milliard en 2010 et les projections actuelles estiment que la population africaine pourrait passer le pilier des 2,7 milliards d’habitants en 2050[1].
Cette croissance démographique fulgurante soulève de nombreux enjeux dans les villes africaines, notamment en matière de logements, d’infrastructures, d’emploi, de santé et d’environnement, pour n’en citer que quelques-uns. Le déploiement des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) sur le continent offre donc l’opportunité de repenser le rôle et la construction de la ville africaine dans le but de faire de cette explosion démographique un véritable atout pour le continent. La croissance des villes sera au cœur du développement du continent africain. Dans ce contexte, les projets de villes intelligentes, les smart cities, en Afrique fleurissent de plus en plus ces dernières années pour répondre aux défis urbains qui accompagnent cette croissance.
Les smart cities, ces villes intelligentes qui mettent l’humain au centre de leur fonctionnement
D’ici 2050, près de 60% de la population du continent résidera en métropole[2]. Dans ce contexte, le développement progressif des smart cities permettra de répondre au défi que représente cette urbanisation galopante. De nombreux pays africains ont déjà fait des smart cities une réalité, tels que Le Caire en Égypte, Casablanca au Maroc ou encore Nairobi au Kenya. Alliant numérique, innovations technologiques et modernité, ces villes intelligentes, où économie et développement durable iront de pair, joueront un rôle clé dans l’amélioration des services urbains.
En effet, les smart cities visent à construire des modèles de développement au service de l’épanouissement des citoyens, de plus en plus consommateurs de données. La mobilisation de la technologie peut ainsi améliorer la qualité et le confort de vie des populations sur le continent, les TIC étant par exemple en mesure d’optimiser les services publics et les infrastructures urbaines. Ces dernières sont en effet rendues désuètes, voire insuffisantes pour répondre aux besoins premiers des habitants.
En permettant tout particulièrement une meilleure gestion de l’énergie et de l’efficacité énergétique, de la mobilité urbaine, de l’accès à l’eau potable, de la gestion des déchets et de la sécurité publique, les TIC jouent un rôle important dans le développement des villes africaines. L’opérateur kényan Safaricom annonçait ainsi en 2021 vouloir installer 330 000 compteurs électriques intelligents afin de contrôler le réseau électrique en temps réel grâce à la technologie de l’IoT (Internet des Objets), permettant de ce fait de limiter les pertes au niveau de l’électricité. En Tunisie également, la Société Tunisienne de l’Électricité et du Gaz (STEG) a vendu plusieurs lots dans le cadre de marchés publics pour le développement de compteurs électriques intelligents sur son territoire.
La forte croissance démographique couplée à l’urbanisation rapide que connaît aujourd’hui l’Afrique entraîne parallèlement une augmentation de la pollution atmosphérique. Face à cela, de nombreuses solutions numériques visant à évaluer la qualité de l’air via des capteurs se déploient au sein des villes. Le géant du numérique américain Google a ainsi financé une équipe de recherche de l’Université Makerere en Ouganda pour développer le projet AirQo. Ce type de solution numérique permet notamment d’identifier les zones où la pollution est la plus importante afin de déterminer les zones prioritaires de l’action gouvernementale. Cela est d’autant plus important que la pollution urbaine tue deux fois plus en Afrique que partout ailleurs dans le monde[3]. Celle-ci étant amenée à augmenter rapidement dans les prochaines années, le recours à des technologies vertes se fera de plus en plus pressant et devra s’accompagner, en parallèle, de politiques publiques plus fortes.
Enfin, alors que la croissance démographique risque d’entraîner une pression sur le marché du travail dans les villes, entraînant de fait une hausse du chômage et une baisse des salaires pour les travailleurs les plus vulnérables, le développement des projets de smart cities peut alors avoir un impact significatif sur la création d’emplois et de facto la croissance économique. En adoptant des solutions technologiques toujours plus innovantes pour résoudre les défis urbains, les villes peuvent ainsi attirer des investissements, stimulant dès lors l’économie des pays. Cela pourra, à terme, générer de nouveaux emplois dans divers secteurs.
Les enjeux du développement des TIC dans les villes africaines
Si le développement des villes intelligentes constitue un vivier d’opportunités pour les populations et les villes du continent, leur déploiement à grande échelle est largement tributaire de l’électrification des villes et donc du déploiement de la connectivité via les infrastructures. Première brique à poser et intrinsèquement liées à la construction de la ville de demain, il est en effet admis qu’il ne peut y avoir de smart cities sans infrastructure. En effet, l’électrification permet d’alimenter les systèmes de technologies de l’information et de la communication, tels que les réseaux de capteurs, les systèmes de gestion de la ville et les infrastructures pour les services publics. Elle permet par ailleurs de fournir l’énergie nécessaire à l’ensemble de l’infrastructure permettant de stocker les données, que sont notamment les data centers et les systèmes cloud, très énergivores.
Au cœur des considérations environnementales qui se multiplient sur la scène internationale, notamment africaine, la bonne gestion de l’énergie est au cœur de tous les enjeux. Outre résoudre les défis de l’électrification, le déploiement d’infrastructures durables telles que les réseaux intelligents peut apparaître comme l’une des solutions d’avenir. Ainsi, en Éthiopie, le géant technologique chinois Huawei a déployé plus de 400 sites solaires utilisant des solutions Advanced Hybrid Power ainsi que des Smart Micro Grids en vue d’apporter l’électricité dans les zones non électrifiées. L’opérateur français Orange a également déployé une solution solaire afin de satisfaire 50% de la consommation énergétique de son principal data center en Afrique.
Cependant, permettre un développement viable et pérenne des villes intelligentes sur le continent nécessite au préalable plusieurs prérequis. Le premier concerne tout d’abord la formation aux nouvelles technologies : la constitution d’un capital humain qualifié est indispensable au développement desdites villes pour soutenir et accompagner leur transformation. Former cette jeunesse ambitieuse, entreprenante et férue de nouvelles technologies est l’ambition de nombreux acteurs, tant privés que publics, en Afrique. Au Maroc, l’Université Mohamed VI Polytechnique (UM6P) a récemment annoncé le lancement à Benguerir d’une formation dédiée aux « stratégies de smart cities en Afrique ». D’une durée de deux ans, ce programme destiné aux ingénieurs marocains visera tout particulièrement à répondre aux défis de la croissance démographique et du développement durable sur le continent.[4] L’équipementier Huawei propose également des offres de formation aux TIC afin que les jeunes talents puissent prendre l’avenir numérique de leur pays et donc du continent. Dans cet état d’esprit, l’entreprise a déployé plusieurs programmes tels que la ICT Academy ou encore Seeds for the Future.
Autre prérequis : la mise en place d’une réglementation qui garantisse la protection des données. Les cyberattaques se sont faites de plus en plus nombreuses ces dernières années et l’utilisation de nouvelles technologies telles que le cloud, l’intelligence artificielle ou le big data au cœur de la construction de ces villes de demain suppose de mettre en place des politiques publiques qui soient en mesure de garantir la protection des données personnelles.
Enfin, afin que le déploiement de ces villes intelligentes se fassent de la meilleure façon possible, il importe également de définir des stratégies publiques claires qui soient exécutées de façon efficace et durable.
En conclusion, le déploiement de la technologie au sein des villes africaines représente une mine d’opportunités pour le continent, tout particulièrement dans un contexte où la croissance démographique soulève de nombreux et nouveaux enjeux. Synonymes d’opportunités pour relever les défis de l’explosion urbaine, de l’emploi, des transports, mais également de la lutte contre le réchauffement climatique, les smart cities semblent être l’avenir du continent africain. Cependant, leur construction effective et bénéfique à l’ensemble de la population nécessitera le déploiement d’infrastructures numériques efficaces et durables, la formation des populations aux technologies numériques, ainsi que la mise en place de stratégies de cybersécurité et de réglementations adaptées à cette forte croissance des données que la création de ces smart cities engendrera de plus en plus.
[1] « L’Afrique confrontée au boom de sa population », Reporterre, juillet 2022.
[2] « Quelles sont les smart cities africaines ? », Makers Africa, août 2021.
[3] « La pollution urbaine tue deux fois plus en Afrique qu’ailleurs », Jeune Afrique, novembre 2022.
[4] « Maroc : une formation aux stratégies de smart cities en Afrique, lancée à Benguerir », Afrik 21, janvier 2023.